La prisonnière des Sargasses - Jean Rhys

La prisonnière des Sargasses, roman publié en 1966, se propose de retracer la vie d’Antoinette Cosway, plus tard appelée Bertha Mason, une jeune fille née aux Antilles et dont la vie part en fumée lorsqu’en 1833, sa famille de propriétaires terriens créoles est ruinée suite à l’abolition de l’esclavage.

Antoinette grandit au milieu de cet environnement hostile et violent, dans l’indifférence de sa mère qui sombre peu à peu dans la folie. Envoyée adolescente dans un couvent, elle n’en ressort que pour épouser un riche anglais qui finit par la détester et la force à quitter le pays pour rejoindre l’Europe.

Ce roman est pour Jean Rhys l’opportunité de redonner une voix à un personnage célèbre de la littérature anglaise du XIXème siècle. Ainsi, Antoinette Cosway n’est autre que la femme de Rochester dans le roman Jane Eyre de Charlotte Brontë dont le lecteur ne découvre l’existence que très tardivement, lorsque celle-ci met délibérément le feu au grenier dans lequel son mari la tenait enfermée. Décrite comme folle, hystérique et dangereuse dans Jane Eyre, Antoinette, sous la plume de Jean Rhys, retrouve toute son humanité. Parce que l’autrice utilise de façon extrêmement pertinente le courant de conscience (une technique d’écriture qui vise à transmettre le point de vue cognitif d’un personnage en mimant le courant interne de pensée), le lecteur se retrouve happé par le flot constant de pensées et d’émotions d’une femme qui aime un homme qui la hait, qui tente de survivre dans un environnement hostile et qui navigue dans une société dans laquelle, malgré tous ses efforts, elle ne trouve jamais sa place. En 240 pages, Jean Rhys parvient à écrire un roman profondément féministe et à faire d’Antoinette Cosway l’incarnation de toutes ces opprimées que la société, au fil des siècles, a fait sombrer dans la folie.  

Pas de police ici, dit-elle. Pas de cadène, pas de moulin de discipline, pas de sombre cachot non plus. C'est un pays libre et je suis une femme libre.